Version texte sans mise en page du dossier paru dans le numéro 4 d’Aires Libres
Au cours d’une vie, des questions récurrentes se posent. Parmi celles-ci s’insère la problématique du logement. Le jeune adulte cherche une habitation pour voler de ses propres ailes et fonder une famille. Il s’agit, dès lors, de trouver la maison de ses rêves répondant à son budget, la construire ou la rénover en fonction de ses souhaits. Mais, les années passent, les besoins évoluent… L’adulte, qui travaille chez lui, souhaite aménager un bureau ; le jeune couple retape une annexe pour disposer d’une cuisine fonctionnelle ; le nouveau retraité recherche plus de sécurité et de confort ; l’apparition d’un handicap oblige à revoir l’agencement des pièces ; la vieillesse s’installe avec ses difficultés de déplacement et de dextérité…
Nombreuses sont les personnes à se lancer dans des travaux, souvent lourds à réaliser. En effet, les logements « traditionnels » ne sont pas conçus pour être facilement et démocratiquement modifiés : pas simple de déplacer une paroi pour ré-agencer la salle de bains, dur dur de doubler l’escalier par un élévateur pour accéder aisément à l’étage… Au final, c’est le logement qui provoque le handicap !
Plutôt que d’engager de gros travaux dans la maison, une alternative est de déménager. Malheureusement, trouver un logement existant adapté à ses besoins est une réelle gageure. Les maisons de repos ne sont, quant à elles, pas forcément la meilleure solution. Le déracinement et leur coût élevé, tant pour le pensionnaire que pour la société, sont des freins pour de nombreuses personnes âgées. Pourtant, une large frange de la population est concernée par ce problème d’évolution et d’adéquation du logement. Les statistiques sont éloquentes à ce sujet :
> 1/3 des seniors a besoin d’assistance pour se déplacer ;
> 20% de la population belge est limitée dans les activités de la vie quotidienne;
> 40% des ménages belges ont des enfants.
Face à ces constats, et plutôt que de poursuivre dans la lignée traditionnelle, les concepts de logements adaptés, adaptables et accessibles s’inscrivent petit à petit dans le domaine de la construction.
Le logement adapté, un logement qui répond aux besoins réels de ses occupants
L’inadéquation du logement à la vieillesse et au handicap est à la source de nombreuses difficultés pour de plus en plus de personnes : monter les escaliers, utiliser ses sanitaires en toute sécurité, circuler facilement dans la maison avec un déambulateur…
Afin de pallier ces problèmes, des associations proposent leurs services. Elles fournissent des conseils personnalisés sur les aménagements à entreprendre (réagencement de la salle de bains par exemple) et les aides techniques éventuelles à placer (élévateur, barres d’appui…). Ce travail est réalisé par des ergothérapeutes qui ont des connaissances approfondies des différents types de déficiences et de leurs évolutions possibles. Ces spécialistes en adaptation du logement tentent de trouver des solutions optimales en intégrant les contraintes techniques de l’habitation (murs porteurs, espace disponible, différences de niveau…) mais également le budget4 fixé par les occupants. Ces experts proposent donc aux personnes des solutions qui tiennent compte de leurs besoins et de leurs capacités actuelles et futures, de leurs habitudes et de leur environnement. On parle ici de logement adapté.
Phrase en exergue : « Construire adaptable augmente donc indéniablement la valeur et la longévité des logements. »
Témoignage : « Solival nous a éclairés dans bien des domaines, notamment pour une nouvelle salle de bains. Bientôt, Jenny pourra enfin profiter de sa maison où elle passe le plus clair de son temps et avoir des soins nettement moins contraignants qu’avant. » JC Ceulemans et Jocelyne Jadoul, parents de Jenny
Si ce genre d’adaptations répond généralement parfaitement aux besoins d’une personne, elles présentent également des désavantages, tant dans le domaine privé que public.
Tout d’abord, un logement adapté est fabriqué « sur mesure » c’est-à-dire qu’il répond aux besoins particuliers de ses occupants. Or, les besoins d’une personne âgée ou handicapée sont variables d’un individu à l’autre, mais aussi, évoluent dans le temps. La construction de logement adapté, ou la transformation d’une habitation pour la rendre adaptée, est donc une solution individuelle. Il s’agit d’une réponse temporaire si on prend en compte la durée de vie d’un logement, qui s’étale sur plusieurs générations.
Ensuite, de par ses caractéristiques, un logement adapté se transmet difficilement d’un occupant à un autre. Le risque est grand de devoir démolir des adaptations pour en installer d’autres : plus un logement correspond aux exigences précises d’un occupant, moins il est approprié pour d’autres personnes.
Au-delà de ces considérations réflexives, et en ramenant le débat à un niveau plus terre à terre, il s’avère régulièrement que les aménagements à réaliser soient très coûteux, malgré les subsides existants. Parfois, ils ne sont simplement pas exécutables (un mur porteur ne peut pas être supprimé, la place suffisante ne peut être dégagée pour installer un ascenseur…).
Enfin, il est impossible de dresser une liste des critères définissant un logement adapté. Côté secteur public, il est donc absurde de lancer à grande échelle ce genre de construction : une étude devrait être réalisée pour chaque habitant. La rentabilité des projets n’est alors pas assurée.
Parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir…
Puisque la maîtrise des handicaps s’avère complexe, onéreuse et personnelle, un autre angle d’attaque doit être privilégié. Un nouveau regard doit être porté sur la construction en elle-même : contrôlons notre environnement plutôt que nos limitations physiques ou sensorielles ! Le concept d’adaptabilité trouve ici tout son sens. Il s’agit de rendre possible, dès la construction du logement, sa transformation ultérieure. L’idée de base est de prendre en compte le caractère dynamique des besoins des occupants : on anticipe ici les transformations souvent inéluctables au cours du temps, que les personnes vieillissent, qu’elles deviennent à mobilité réduite ou que leur noyau familial évolue.
Dans ce cas, les logements ne sont donc pas destinés à l’avance aux personnes handicapées ou aux personnes âgées… mais à chacun d’entre-nous.
La flexibilité ainsi assurée confère à tous les occupants une maîtrise durable et relativement aisée de leur lieu de vie. Il importe donc de faire des choix en amont de la construction de logements neufs et d’intégrer l’adaptabilité dès la conception du projet (ou lors de grosses rénovations) : réserver des espaces de circulation et des aires de manoeuvres, prévoir l’extension d’une chambre, anticiper la suppression de murs, accoler la salle de bains aux toilettes, etc. Un logement ainsi pensé laisse la porte ouverte à toutes les adaptations possibles.
Bien que le coût à la construction puisse légèrement être plus élevé que celui du logement traditionnel (maximum 1% des coûts de construction, principalement dû au fait que le logement peut nécessiter une plus grande surface au sol), les avantages et bénéfices à long terme sont nombreux.
La flexibilité d’un tel logement permet de donner une réponse rapide aux changements de mode de vie (arrivée d’enfants, travail à domicile, famille recomposée, convalescence…) et de nombreux déménagements peuvent ainsi être évités. En facilitant le maintien à domicile des personnes âgées, on répond à une demande récurrente des aînés qui rechignent à emménager dans une maison de repos. Cela permet même de réaliser des économies dans le secteur des dépenses sociales !
En outre, les logements adaptables sont souvent considérés par leurs occupants comme plus sécurisants et plus confortables. Ce sentiment provient de l’espace offert dans ces habitations mais aussi de la facilité d’utilisation et de la dimension ergonomique de tous les aménagements : les couloirs permettent de circuler aisément avec des sacs remplis de provision, les fenêtres sont facilement atteignables, les portes sont assez larges, le bac de douche ne doit plus être enjambé, etc. Toutes les éventuelles difficultés sont gommées et la facilité d’usage est prépondérante.
Par ailleurs, la création de logements adaptables favorise l’intégration des personnes à mobilité réduite par deux biais :
> le nombre de logements répondant aux critères de base fixés par une personne handicapée est plus élevé. Ces citoyens peuvent donc trouver une habitation avec moins de peine, le choix étant plus important et plus diversifié ;
> les personnes à mobilité réduite peuvent rendre visite sans trop de souci aux membres de leur famille et à leurs connaissances habitant une résidence adaptable.
Pour les sociétés de logements publics, il est également plus avantageux de construire des logements adaptables plutôt qu’un quota de logements adaptés. En effet, il est possible de généraliser les contraintes d’un logement adaptable. Il est donc envisageable de construire en nombre ce type d’habitation. En Wallonie, un ouvrage intitulé « Guide d’aide à la conception d’un logement adaptable », recensant de nombreux critères techniques, vient d’être publié (cf. encart p.14).
De surcroît, et pour ajouter au bénéfice des sociétés immobilières, un tel logement peut aisément être remis en vente ou en location et les attributions aux personnes à mobilité réduite sont moins limitées.
Construire adaptable augmente donc indéniablement la valeur et la longévité des logements.
Au vu de tout cela, on peut dire qu’un logement adaptable est un logement conçu pour y grandir, vivre et vieillir sereinement. Bref, c’est un logement « pour toute une vie ».
Phrase en exergue : « La flexibilité d’un logement adaptable permet de donner une réponse rapide aux changements de mode de vie. »
Logement accessible
Au regard de la loi, un logement est considéré comme étant accessible lorsque tout le monde, valide ou moins valide, peut arriver aisément jusqu’à la porte d’entrée du logement. Les abords extérieurs, le parking, l’entrée (du bâtiment mais aussi de l’appartement) et les parties communes de l’immeuble sont donc facilement praticables.
Logement adaptable
Un logement est qualifié d’adaptable lorsque, dès sa conception, on pense « adaptations futures ». Au besoin, le logement peut donc subir aisément des transformations pour devenir adapté.
Logement adapté
Un logement adapté est un logement accessible dans lequel les besoins des PMR sont rencontrés. Les PMR peuvent y circuler aisément et peuvent profiter de manière autonome de toutes les fonctions (sanitaires, cuisine, etc.).
Principes clés
Le logement adaptable peut être transformé en un logement adapté après exécution de travaux simples :
> ne touchant ni aux structures, ni aux gaines et réseaux communs du bâtiment;
> ne diminuant pas le nombre de pièces principales.
Les circulations qui desservent l’unité de vie doivent donc être accessibles dès l’origine, c’est-à-dire :
> sans marche, ni ressaut ;
> avec des portes de largeur suffisante.
Les aires de manœuvres et les espaces de circulation ne doivent pas être directement disponibles mais être réservés : tout obstacle dans cette surface doit être pouvoir éliminé aisément (démontage d’une cloison, suppression de mobilier…).
D’autres éléments peuvent être adaptés dès le départ sans pour autant être pénalisants pour les occupants valides. Notamment, l’accès aux commandes (clenches, poignées de fenêtre, interrupteurs, robinetterie…) et certains aménagements de confort (ex : partie basse des fenêtres plus bas permettant la vue vers l’extérieur pour une personne assise ou alitée).
Plus d’infos dans le « Guide d’aide à la conception d’un logement adaptable ».
Construire durablement
En prenant un peu de recul, on constate que le concept du logement adaptable s’inscrit totalement dans la perspective du développement durable.
En effet, le développement durable est « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Il s’agit de trouver un équilibre viable, vivable et durable entre l’efficacité économique, l’équité sociale et la protection de l’environnement. Le développement durable se situe ainsi à l’intersection de trois préoccupations, présentes elles aussi dans la philosophie du logement adaptable : l’axe social, la dimension économique et l’environnement. Sur le plan social, on s’accorde à dire que tous les citoyens, valides ou moins valides, ont droit à un logement décent. Le logement adaptable rencontre cet objectif en permettant aux personnes à mobilité réduite de s’intégrer avec les mêmes chances et les mêmes possibilités que les personnes valides. Par ailleurs, les occupants d’un logement adaptable peuvent y vivre plus longtemps et peuvent ainsi conserver leur cadre de vie et leur réseau de relations.
Au niveau économique, le logement adaptable est bénéfique tant lors de la construction que lors des transformations. Par exemple, il est moins coûteux de prévoir une entrée de plain-pied que d’ajouter postérieurement une rampe d’accès à un bâtiment. De même, prévoir un précâblage dans les murs au moment de la construction permet de réaliser de belles économies lors de l’installation de domotique. Ce genre d’édifice permet également de diminuer de nombreux coûts sociétaux dus à l’inadéquation des logements traditionnels. Citons ici, à titre d’exemple, les hospitalisations prolongées suite à une convalescence ou le placement des personnes âgées en maison de repos.
Phrase en exergue : « Construire adaptable doit s’insérer dans une démarche plus large d’accessibilité de l’environnement bâti afin de réellement atteindre les objectifs. »
L’aspect environnemental peut lui aussi être intégré sans peine : les adaptations étant prévues à l’avance, les déchets produits lors de travaux sont minimisés, voire inexistants. La durée de vie plus longue du logement et le maintien de ses performances au cours du temps permettent de valoriser aussi longtemps que possible son investissement environnemental consenti à la construction (prélèvements, déchets et rejets).
L’accessibilité, préalable à l’adaptabilité
Qu’il s’agisse de logements à construire ou à rénover, il importe d’être vigilant au niveau de l’accessibilité du quartier et de ses environs avant de concevoir du logement adaptable. En effet, construire adaptable doit s’insérer dans une démarche plus large d’accessibilité de l’environnement bâti afin de réellement atteindre les objectifs. Ainsi, les abords immédiats du logement, mais également
son implantation dans le quartier, doivent être pris en compte. Il est inutile de bâtir un logement adaptable dans un immeuble collectif si les parties communes (parking, hall d’entrée, couloirs, ascenseur, etc.) ne sont pas accessibles.
Quant aux commerces et aux différents services utiles, ils doivent se situer à proximité de ces habitations.
L’adaptabilité et l’accessibilité, clés de conception principales
Jusqu’à présent, les travaux d’adaptation d’un domicile sont motivés par des raisons de santé et lorsque les problèmes de mobilité et d’usage sont déjà bien présents. Or, nous sommes tous, un jour ou l’autre, des personnes à mobilité réduite. Il est temps de prendre en compte l’accessibilité et l’adaptabilité comme une qualité de base pour tous les logements, et non comme une concession généreusement accordée aux PMR.
Vivre chez soi doit redevenir une expérience banale pour tout le monde, personnes à mobilité réduite comprises. Il n’est plus question que l’apparition d’un handicap ou de la vieillesse oblige à vivre le moins mal possible dans son habitation.
Par conséquent, il convient de développer et d’ancrer la société dans la culture de l’usage universel. L’architecture répondra alors à un de ses objectifs essentiels : servir l’Homme.
Marie-Ange Vandecandelaere
Anne-Sophie Marchal
Bibliographie
> Article ou contribution à des monographies
DUPAGNE Albert, Le logement durable in Le logement à l’aube du XXIème siècle. Quelques perspectives et enjeux pour demain, Jambes, Direction générale de l’Aménagement du territoire, du Logement et du Patrimoine, 2000.
> Brochures
Accessibilité : principes et lignes directrices. Adaptation des bâtiments dans un environnement bâti accessible, Conseil de l’Europe, 1993.
Guide d’aide à la conception d’un logement adaptable, Namur, Région Wallonne, 2008.
Pour que le logement ne soit pas un handicap. Guide à l’usage des professionnels et des élus, Association des Paralysés de France, Paris, 1998.
Un logement pour tous. Pour une Wallonie accessible…, Jambes, Cabinet du Ministre de l’Action sociale, du Logement et de la Santé de la Région wallonne, 1998.
> Monographie
GROSBOIS L-P, Handicap et Construction, Paris, Le Moniteur, 2003.
> Texte en ligne
CLOT E., Pour un accès au logement pour tous : Analyse de l’accès au logement des personnes en situation de handicap, texte en ligne disponible sur : www.handicap38.org
« Guide d’aide à la conception d’un logement adaptable »
Ce guide constitue, à travers des fiches pratiques, un ouvrage de référence permettant de réaliser des logements adaptables.
Cet ouvrage présente aussi bien les critères spécifiques à la réalisation du logement que ceux d’implantation du bâtiment au sein des infrastructures économiques et sociales.
Ce guide a été réalisé dans le cadre d’une recherche collective réunissant les acteurs clés du secteur de la construction (CSTC), du secteur associatif (CAWaB) et du secteur du logement public (SWL). Le CIFFUL a apporté son expertise en matière d’interface et d’ingénierie pédagogique.
Il sera très prochainement téléchargeable sur Internet (www.cawab.be).
Réglementation
Aucune réglementation wallonne n’existe à propos du logement adaptable ou adapté.
Pour les bâtiments ouverts au public, le CWATUP impose un minimum d’accessibilité (largeur de portes, normes pour les ascenseurs, imposition pour les sanitaires, etc.).
Concernant les logements multiples, seules les parties communes doivent être accessibles. Ces logements doivent donc être au minimum accessibles (cf. encart page 9).
Des informations plus fournies concernant les réglementations existantes en Belgique et à l’étranger sont disponibles sur notre site Internet www.atingo.be (onglet documentation).