Logement adaptable : entretien avec Louis-Pierre Grosbois (version texte)

Logement adaptable : entretien avec Louis-Pierre Grosbois (version texte) 2016-06-28 Logement adaptable : entretien avec Louis-Pierre Grosbois (version tex
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Version texte sans mise en page de l’entretien paru dans le numéro 4 d’Aires Libres

Louis-Pierre Grosbois, auteur du livre « Handicap et Construction », a mené de front plusieurs activités professionnelles : celle d’enseignant, de chercheur et d’architecte. Il possède une expérience professionnelle de plus de trente ans dans le domaine de l’accessibilité.
Propos recueillis par Marie-Ange Vandecandelaere & Anne-Sophie Marchal.

Dans l’avant-propos de votre livre, nous percevons une évolution de la notion d’accessibilité aux personnes handicapées au fil des éditions. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dès le départ, je me suis basé sur le théorème de l’accessibilité : une personne valide dans un espace inaccessible est une personne handicapée et une personne handicapée dans un espace accessible est une personne valide.
Les trente dernières années ont vu une évolution dans le langage. On parlait d’abord des handicapés, sous forme de nom, pour caractériser un groupe d’individus, sans visage, que l’on ne voit pas. Par la suite, on a parlé de personnes handicapées. On réintroduit la notion de personne. Après, le terme « handicap » a été défini comme une gêne quelconque. Là encore, on confond l’origine avec la conséquence.
Aujourd’hui, on est passé à ce qu’on appelle « situation de handicap ». Le handicap est l’interaction entre les possibilités de la personne et son environnement. Les Anglais ont une formule très appropriée : « Good design enables, bad design disables». Des compensations sont ici introduites pour effacer les altérations. Peu à peu, on arrive aux notions de conception universelle, de design for all et même d’inclusive design.
Longtemps, on a fait des moyennes en éliminant la diversité. Or, au cours d’une vie, on est enfant, adulte, aîné… on change ! Il faut prendre en compte ce changement. La notion de conception universelle invite à concevoir un environnement qui s’adapte à la diversité. Comment ? En partant des altérations que les gens peuvent avoir.
Si ne vous partez plus de cet homme moyen qui marche et voit bien, mais de l’homme qui ne marche pas, se déplace lentement, ne voit pas… vous cherchez les compensations qui le remettent dans le jeu. L’attitude est totalement différente : on ne travaille plus sur l’homme idéal, mais sur celui qui a des déficiences. On change de point de vue ! C’est plus que des prescriptions à appliquer. C’est d’ailleurs pour ça que c’est difficile : il faut comprendre l’attitude mentale qu’il y a derrière. Je ne crée plus un projet classique en pensant après aux personnes handicapées. Je pars d’abord des altérations et je conçois un bâtiment qui les compense.

Cette évolution s’est-elle également ressentie dans l’architecture ?

Lorsque j’ai commencé à enseigner en ‘63, l’architecture se recentrait autour de l’homme. Dans les années 80-85, l’architecture post-moderne s’est développée en mettant de côté cette approche. Les nouvelles techniques et l’esthétique ont pris de l’importance. Je reviens souvent sur cette définition de Vitruve qui dit que l’architecture doit s’appuyer sur trois pôles : la construction, l’esthétique et l’usage. Pour l’instant, le pôle usage est faible.

La construction de logements adaptables est-elle une démarche identique, opposée ou complémentaire à l’utilisation de la domotique ?

L’accessibilité est selon moi l’élément de base. Après, on peut ajouter de la domotique. On peut le prévoir à l’avance en installant du précâblage. Tout en gardant à l’esprit que ces technologies évoluent vite. Or, la base de l’accessibilité, elle, reste toujours la même. La priorité doit rester l’accès au logement.
Il faut éviter la tendance à faire comme d’habitude et se dire que par la suite on installera de la domotique… C’est encore des coûts supplémentaires alors que la base de l’accessibilité n’est pas mise en place.

Avez-vous des exemples concrets d’application? Quelles conclusions tirez-vous de ces expériences ?

En ‘95, j’ai réalisé à Toulouse un bâtiment expérimental de 50 logements dont vingt sont réservés pour des personnes âgées. J’ai renversé la conception pour compenser un maximum de déficiences. Je n’ai pas créé 20 logements accessibles mais un immeuble pleinement accessible. Les appartements se modifient facilement : le WC peut être intégré dans la salle de bains en retirant une cloison, la kitchenette peut s’ouvrir sur la chambre pour pouvoir dialoguer. Ces cloisons, stockées dans l’immeuble, peuvent être placées ou déplacées à la demande, en une journée maximum. On a passé beaucoup de temps à la programmation. On a discuté avec les personnes âgées, les aides-soignants, les familles… On est arrivé à un projet de vie : on voyait comment l’immeuble allait vivre et comment le rapport entre gens valides et âgés allait se passer. C’est maintenant un immeuble qui vit depuis plus de 10 ans et les retours sont très bons. Les gens y vivent même jusqu’à 96-97 ans… Côté financier, ce projet s’est réalisé dans le prix du logement social, voire moins, en généralisant tous les aménagements. Au final, c’est moins cher de faire les adaptations pour tout le monde.

Selon vous, « l’architecture doit traduire la vie et les expériences humaines ». Est-ce le cas actuellement ?

Non, la programmation d’un logement n’est pas axée sur l’usage mais sur le plan économique, les nouvelles technologies et le développement durable… Mais qu’en est-il de l’occupant ? On pense toujours que l’accessibilité, c’est 15% de coût en plus. C’est parce qu’on reste dans la tradition. En réanalysant les gestes quotidiens des utilisateurs, on pourrait généraliser de nouveaux aménagements. Il y a des pratiques dans le logement qui bloquent la mutation. Par exemple, on place par habitude des tubs de douche qu’il faut enjamber. Or, à l’usage, les douches de plain-pied sont beaucoup plus confortables et sécurisantes pour tous. On pourrait en généraliser l’usage.

Selon vous, quels sont les freins à l’amélioration de l’accessibilité du cadre bâti ?

Premièrement, le manque de réalisations de logements adaptables. S’il y en avait plus, on aurait davantage d’exemples qui donneraient l’impulsion pour d’autres projets.
Deuxièmement, le manque de conseils, de contrôle et d’accompagnement de la réalisation. Il devrait y avoir davantage de consultants.
Troisièmement, le manque de formation des architectes, urbanistes, ingénieurs dans les écoles.
Quatrièmement, le manque d’évaluation de l’accessibilité dans les grands concours emblématiques d’architecture. On n’y parle jamais d’usage.
Cinquièmement, le manque d’évaluation des incidences sur la construction. Il y a une fausse croyance qui dit que ça coûte plus cher.
Enfin, le manque d’évaluation du coût social. Quand vous faites de l’accessibilité, vous réduisez les frais que vous dépenseriez pour loger les personnes âgées, pour les soigner… Il ne faut pas oublier qu’en France, chaque année, l’espérance de vie augmente de trois mois. Vous voyez ce que ça va donner dans une dizaine d’années… Il faudrait que le logement accessible et adaptable devienne la norme. Ça diminuerait largement la facture sociale et médicale.

Le monde du logement est en constante évolution. Comment imaginez-vous les logements dans 20 ans ? L’accessibilité et l’adaptabilité seront-elles prises en compte systématiquement ?

Je souhaite que la notion d’habitabilité soit renforcée au niveau de l’architecture, qu’on revienne vers l’homme. Comment les espaces sont-ils perçus ? Comment sont-ils fréquentés ? Comment s’en sert-on ? En partant de cela, on peut alors concevoir et puis trouver les techniques pour permettre la réalisation. Je souhaite que les logements se banalisent en allant vers des performances techniques permettant des compensations. Je suis confiant mais il faut être très vigilant. Je pense que, là, les associations et les particuliers ont un rôle à jouer. Ils doivent être incisifs. L’architecte est face à un client. Si le client dit non à ses propositions, l’architecte doit s’adapter. Les usagers doivent faire pression en disant que l’accessibilité et l’adaptabilité sont des outils absolument nécessaires.

A nous de jouer !

GROSBOIS L-P, Handicap et Construction, Paris, Le Moniteur, 2008
Plus d’info : www.editionsdumoniteur.com