Version texte sans mise en page du dossier paru dans le numéro 11 d’Aires Libres
Début des années 90, l’architecte américain Ronald Mace utilise pour la première fois le terme « Universal Design ». Se déplaçant en chaise roulante depuis l’âge de 9 ans, il a conscience qu’il vit dans un monde qui n’est pas conçu pour lui.
En effet, notre milieu et nos modes de vie évoluent à grande vitesse et nous devons pouvoir agir et nous exprimer dans tout un tas de situations distinctes. Mais comment pouvoir le faire en autonomie si ce milieu requiert d’être continuellement jeune, de mesurer 1m80, d’être en parfaite santé, de jouir d’une parfaite mobilité, d’être cultivé, idéalement anglophone et de disposer d’une capacité de réflexion supérieure ?
Cette représentation du monde met d’emblée hors course un large panel de personnes qui ne peuvent participer, sur un pied d’égalité, aux activités quotidiennes de la vie en société.
La « conception universelle » (CU), comme nous la nommerons ici, vise à développer un environnement sans obstacle, en se centrant sur les besoins d’un groupe maximal d’utilisateurs.
Vingt ans après son introduction, cette idée toujours novatrice a enfin acquis une visibilité politique importante. Elle est notamment citée dans les obligations générales de la Convention ONU relative aux droits des personnes handicapées, premier grand traité du 21e siècle en matière de droits de l’homme, dont le but est d’éradiquer les obstacles qui se dressent devant les personnes handicapées.
Pourtant, peu d’écrits ont consacré ce concept qui reste parfois encore assez flou. Qu’est-ce exactement que la conception universelle (CU) ? Que peut-elle proposer pour l’accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR) ? Quels sont ses principes et comment peut-on les mettre en place ?
<< Début pavé>>
Les 7 paliers d’un ascenseur universel
Afin d’illustrer les 7 principes de la conception universelle, observons ce que cela donne lorsqu’ils sont appliqués à un ascenseur accessible à tous.
Usage équitable
La conception est attrayante et utile auprès de personnes ayant différentes capacités, sans adaptation nécessaire.
> Un ascenseur est conçu de manière universelle s’il peut être utilisé par de nombreuses catégories d’utilisateurs1.
Flexibilité ou souplesse d’usage
La conception peut satisfaire une vaste gamme de préférences et de capacités individuelles.
> Notre ascenseur universel s’adapte à différents types d’utilisateurs mais aussi aux diverses conditions d’utilisation. Par exemple, la porte de l’ascenseur sera réglée pour se fermer après un temps de minimum 6 secondes afin de permettre aux personnes déficientes motrices de le rejoindre sans précipitation. Un bouton de fermeture de la porte sera aussi présent en cabine afin de commander, si nécessaire, une fermeture plus rapide.
Usage simple et intuitif
L’utilisation de la conception est facile à comprendre, quels que soient l’expérience, les connaissances, la pratique de la langue ou le niveau de concentration de l’utilisateur.
> Pour simplifier l’utilisation de l’ascenseur, les boutons sont disposés de façon standardisée. Les mêmes symboles (-2, -1, 0, 1, 2, <l>, >l<, sonnette d’alarme…) sont toujours utilisés et placés selon une même logique.
Information perceptible immédiatement
La conception communique efficacement à l’utilisateur l’information nécessaire, quelles que soient les conditions ambiantes ou les capacités sensorielles des utilisateurs.
> Dans l’ascenseur, les symboles sont en relief afin d’être perceptibles par les personnes non-voyantes. Un témoin visuel et sonore est présent lorsqu’un bouton est actionné. Le bouton indiquant le niveau de sortie est contrasté tactilement et visuellement afin d’être repéré immédiatement.
Tolérance à l’erreur
La conception minimise les dangers et les conséquences négatives de gestes accidentels ou involontaires.
> Les portes de l’ascenseur sont équipées d’un capteur de détection sur toute la hauteur de celles-ci. De plus, les extrémités de la main courante sont obturées et recourbées pour éviter les chocs. Enfin, le miroir est en verre de sécurité et son bord inférieur est placé à minimum 30 cm du sol afin d’éviter les confusions optiques.
Faible niveau d’effort physique
La conception permet une utilisation efficace, confortable et avec une fatigue minimale.
> Les portes de l’ascenseur sont automatiques et coulissantes. Des mains courantes sont présentes dans la cabine afin d’y prendre appui. Un strapontin est présent si de nombreux
étages doivent être desservis. En outre, les boutons de l’ascenseur sont bien espacés entre eux. L’effort à exercer pour les actionner est faible.
Dimension et espace prévus pour l’approche et l’usage
La conception prévoit une taille et un espace adéquats au moment de s’approcher, de saisir, de manipuler et d’utiliser, quelles que soient les contraintes de taille, de posture ou de mobilité de l’utilisateur.
> L’ascenseur conçu pour tous est suffisamment grand pour accueillir une personne en chaise roulante et un accompagnant. Les boutons sont placés à une hauteur permettant aux personnes de petite taille de les actionner. Le palier précédant l’ascenseur ne comporte pas d’obstacle qui pourrait entraver son accès.
1 Les personnes déficientes motrices, les personnes ayant des problèmes de dextérité, les personnes souffrant de problèmes d’équilibre, les personnes malvoyantes ou non voyantes, les personnes déficientes auditives ou bien encore les personnes valides chargées de paquets ou tout simplement distraites…
<< Fin pavé>>
Donner une chance à l’égalité pour tous
Conception universelle, conception pour tous, conception inclusive, conception transgénérationnelle… tous ces termes concurrents sont pourtant univoques2. Apparus dans différents pays ces dernières années, ils font référence à ce même cadre de réflexion qui vise à concevoir des produits, des équipements ou des environnements qui puissent, dans la mesure du possible, être utilisables par tous, sans recourir à l’adaptation spécialisée.
Si ce mode de pensée est encore peu connu du grand public, il répond pourtant à de nombreuses préoccupations actuelles telles que le handicap et le vieillissement de la population.
Chaque être humain dispose de caractéristiques propres selon son âge, son genre, sa physionomie, ses aptitudes, ses origines culturelles et sociales, ses capacités de mobilité… Celles-ci influencent la manière dont il évolue dans la société avec, en fonction des situations, plus ou moins de difficultés. La CU rejoint ici, de manière indéniable, le modèle social contemporain du handicap. D’après celui-ci, c’est l’interaction entre, d’une part, l’environnement social et physique et, d’autre part, les limitations de chacun (et non pas uniquement ces dernières) qui crée la situation de handicap.
La CU a pour objectif de permettre à chaque personne d’avoir « les mêmes opportunités de comprendre, d’accéder et de participer pleinement aux activités économiques, sociales, culturelles et de loisir, de manière la plus indépendante possible »3. Conception égalitaire, justice sociale et inclusion sociale sont donc les valeurs qui la sous-tendent.
Vivre ensemble en se sentant chacun inclus à part entière dans la société, c’est donc là le défi humanitaire que nous propose la CU.
2 Le terme « design » remplace parfois aussi celui de « conception ». On parle ainsi notamment de design universel, de design pour tous, etc.
3 D’après la définition de la CU de la Design For All Foundation
Universalité et accessibilité, un couple qui fait bon ménage !
Historiquement et du point de vue législatif, l’accessibilité visait uniquement les personnes souffrant d’un handicap moteur permanent. Les aménagements se limitaient alors à des solutions pécifiques, constituant parfois autant de « pièces rapportées », pour des catégories de personnes handicapées.
La loi et les différentes règlementations ont ensuite élargi la définition d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite4. En effet, tout citoyen est, un jour ou l’autre, confronté à des problèmes d’accessibilité. Dès lors, plusieurs maîtres d’oeuvre commencent à prendre conscience de la nécessité d’intégrer l’accessibilité dès le stade d’avant-projet.
La conception universelle va plus loin encore et propose un confort d’usage qui s’étend à tous, en prenant en compte la palette la plus large de situations et de personnes. La CU permet d’intégrer les normes d’accessibilité de manière positive et nondiscriminante.
On développe dès lors un projet conçu pour tous, y compris et non plus uniquement pour les personnes handicapées.
4 Personnes gênées dans leurs mouvements notamment en raison de leur taille, de leur état, de leur âge, d’une maladie aux effets invalidants, d’un accident, d’une opération, d’un handicap permanent ou temporaire
Dis moi quel chemin tu empruntes et je ne te dirai pas qui tu es
La CU prend en compte les réactions affectives qui influencent notre motivation à utiliser (ou pas) tel ou tel équipement, produit, etc.5 Par exemple, une personne âgée peut apprendre à se servir d’une application web parfois complexe si c’est pour rester en contact avec ses petits enfants…
A l’inverse, elle est probablement réticente à utiliser un produit qui lui facilite la vie si celui-ci est présenté comme conçu pour les personnes handicapées.
Dans le même ordre d’idée, un plan incliné amovible placé en sus de marches précédant une entrée principale rend, certes, cette entrée accessible mais sera probablement évitée par des utilisateurs potentiels qui ne souhaitent pas être perçus comme des personnes fragiles. Si une rampe en pente douce est le chemin d’accès unique ou si elle s’intègre dès le départ de manière discrète à côté d’une série de marches, tout le monde l’emprunte naturellement et avec confort. Bien évidemment, si l’entrée peut être aménagée de plain-pied, c’est encore mieux !
Une entrée « accessible » amène un préjugé, une entrée « pour tous » efface cette connotation.
5 D’après Edward Steinfeld
Maître de son univers
La conception universelle offre un nouveau cadre de réflexion. « C’est penser, élaborer, envisager – autrement qu’à l’heure actuelle ! – l’environnement, les biens et les services »6. Elle implique a prise de conscience que chacun de nos actes a un impact sur le long terme.
L’homme est au coeur de ce nouveau modèle. Toutes les catégories d’usagers sont dès lors appelées à donner leur avis. Les personnes handicapées y tiennent bien entendu une part importante car les situations de handicap qu’elles perçoivent sont le reflet des difficultés que tous les usagers sont susceptibles de rencontrer. Si une personne en chaise roulante arrive à monter dans le bus, une maman avec une poussette, une personne transportant une valise lourde ou ayant les bras chargés pourra également le faire. La demande, qui peut sembler spécifique, du public handicapé, représente, in fine, un confort pour tous. Par ailleurs, l’approche proactive de la CU permet la réduction d’éventuels coûts futurs. En effet, plus besoin de réaliser un aménagement de compensation à l’avenir puisque l’on conçoit pour tous dès le départ.
Toutefois, on ne peut oublier que certaines personnes auront toujours besoin d’équipements ou de services ciblés en raison d’un handicap lourd ou spécifique. La CU ne pourra pas totalement éliminer les adaptations particulières mais celles-ci peuvent à leur tour devenir de nouvelles applications de conception pour tous. Ainsi, saviez-vous que la télécommande a été à l’origine inventée pour les personnes handicapées ? Qui pourrait s’en passer actuellement ?
Les logiciels de reconnaissance de la parole empruntent la même voie. D’abord introduits dans le domaine de la réadaptation, ils sont aujourd’hui intégrés dans nos téléphones mobiles et GPS.7
6 La lettre de l’APF, Conception universelle : la condition préalable du « vivre ensemble », 27 septembre 2011, # 11
7 D’après Steinfeld
<< Début pavé>>
Réalisation de conception universelle dans l’habitat1
En 1995, Louis-Pierre Grosbois, architecte expert en accessibilité, a réalisé à Toulouse un immeuble d’habitat social de 46 logements dont 22 sont attribués aux personnes âgées. Cette opération expérimentale2 s’intitulait « Conception et Usage de l’Habitat » et mettait l’accent sur l’importance de la programmation de l’usage.
En étroite collaboration avec une équipe de programmation interdisciplinaire3, Louis-Pierre Grosbois a observé et s’est entretenu avec des personnes âgées, très différentes, vivant dans leur logement. Il a ainsi pu constater qu’il n’y a pas de personnes âgées type mais bien un rapport au vieillissement propre à chaque individu. 4 espaces déterminent les lieux de relations de la personne âgée avec son environnement : le lit, l’appartement, l’immeuble et le quartier. Ainsi, la vie quotidienne de la personne âgée indépendante se déroule dans le quartier et se recentre progressivement vers l’espace lit lorsque son état évolue vers une situation de dépendance.
Ensuite, il a élargi l’équipe de programmation en recueillant les témoignages et souhaits de ceux qui travaillaient ou étaient présents auprès des personnes âgées dans ces 4 espaces.
Suite à ces deux phases de travail, Louis-Pierre Grosbois a pu élaborer, en tant qu’architecte, des propositions spatiales4 répondant aux demandes des participants des différentes réunions de travail.
De cette expérience de conception universelle, il tire le bilan suivant :
> un avantage pour la vie et la cohésion sociale dans l’immeuble et dans le quartier ;
> un avantage pour l’adaptation aux situations de la vie de chacun, dans l’appartement et dans l’immeuble ;
> une maîtrise de cette adaptation dans le cadre du financement de l’habitat social.
Preuve est ainsi faite qu’avec une programmation approfondie des exigences humaines, les formes prolongent les usages et l’architecture complète la vie.
1 Extrait de l’intervention de Louis-Pierre Grosbois « L’habitat adaptable : une réponse à la diversité humaine » lors de la conférence « Logement : adoptons l’adaptable ! », Liège, 7 février 2011
2 Soutenue par les ministères français de la Santé et du Logement
3 Maître de l’ouvrage, ergothérapeutes, représentants de l’association Vivre à domicile
4 Logement adaptable pour s’adapter aux personnes devenant dépendantes, logements ouverts pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, liaisons stimulantes entre l’intérieur et l’extérieur du logement afin de maintenir la personne âgée indépendante…
<< Fin pavé>>
A conception universelle, suffrage universel !
Dans une démarche de conception universelle, le handicap ne doit plus être perçu comme une contrainte mais bien comme un défi créatif et/ ou technologique à relever !
Pour aider les concepteurs à la mettre en oeuvre, 7 principes ont été établis8 (voir page 8). Ils constituent un fondement, tout en offrant une grande marge de flexibilité et de créativité sur la manière de « concevoir universel ». Ils permettent également une application du concept dans différents domaines (environnement bâti, produits et services, pratiques commerciales, etc.).
Le respect des principes est primordial. Pour ce faire, il est nécessaire de réfléchir, le plus en amont possible du projet, aux usages et aux usagers. C’est ce qu’on appelle la démarche de programmation. Elle doit être largement approfondie car elle permet de s’assurer de la qualité d’usage pour tous. Dans ce cadre, il convient, dans un premier temps, d’identifier de la manière la plus large possible tous les usagers et les scénarios d’utilisation divers.
Ce travail d’observation met en évidence les relations qui unissent les usagers et l’espace ou le produit à concevoir. Quels sont les limitations, contraintes, risques ou conflits éventuels qui en découlent ? Cette phase d’identification des capacités des utilisateurs met en avant des priorités pour le choix et le développement de solutions.
Dans un second temps, un processus de consultation des usagers est organisé. Celui-ci doit être répété à chaque étape, de la programmation à la commercialisation du produit ou bien encore à la réception d’un espace. Cette phase de concertation est fondamentale pour la CU. Il ne s’agit pas de réunir les utilisateurs pour leur exposer ce que l’on a décidé mais bien d’échanger sur leurs besoins et leurs désirs réalistes, tout en composant avec les contraintes socioéconomiques et, bien évidemment, avec les normes d’accessibilité. Cette démarche permettra de justifier des choix ou d’infirmer des hypothèses. Suivra alors la proposition de solutions qui seront à nouveau débattues jusqu’à l’aboutissement d’un projet technique.
Après ces deux étapes, une évaluation des résultats mettra en avant les améliorations apportées grâce à la CU.
Un bon exemple de mise en application de cette méthodologie s’illustre dans la ville de Saint-Etienne, dans le Sud-Est de la France. Grâce au projet « Ville pour tous », l’équipe municipale et les services de la ville ont, depuis 2008, mis en place une politique volontaire de conception d’une cité non-handicapante, en s’appuyant sur le design pour tous. La « Cité du design » sensibilise dès lors tous les publics à la problématique9. « Tous nos concitoyens, quels que soient leur état de santé, leurs difficultés de mobilité, leurs problèmes sensoriels… doivent pouvoir circuler dans la ville et accéder à nos lieux publics, à nos espaces culturels, à nos immeubles d’habitation »10.
En travaillant avec des industriels et des designers innovants, le projet permet, via différentes expérimentations, de créer des logements et transports pour tous, des entreprises accueillantes, du mobilier urbain accessible, etc., tout cela expérimenté par les habitants, des plus jeunes (écoliers amenés à réfléchir à l’amélioration de certains espaces de leurs écoles) aux plus âgés (programmes dédiés aux seniors), impliqués directement dans la démarche.11
Les différents aménagements de « design accessible » ont par ailleurs des retombées économiques positives sur la fréquentation de la ville. Ainsi, plus le design pour tous progresse, plus le tourisme augmente !
Enfin, Saint-Étienne, précurseur en matière de design pour tous, a créé un poste de « design manager ». Ce responsable est chargé de diffuser la culture du design et d’établir le contact entre usagers et équipes municipales.
8 À la fin des années 90, par un groupe d’experts américains du Center on Universal Design de Raleigh (Caroline du Nord)
9 Plus d’infos sur http://www.citedudesign.com/
10 Discours « Partager la ville » de Maurice Vincent, Sénateur-Maire de Saint-Étienne, Président de Saint-Étienne, Concevoir une ville pour tous, Actes de la conférence du 19 mai 2011, Ville de Saint-Étienne
11 Cela a valu à Saint-Étienne le titre de « ville créative du design » par l’Unesco.
<< Début pavé>>
À conception pour tous, solution pour chacun !
Attention à la confusion ! Conception universelle ne veut pas dire objet universel.
Hormis éventuellement dans le domaine de l’informatique, il est impossible de réaliser un produit qui puisse convenir à toutes les générations, tous les physiques, dans tous les lieux. La clé réside dans la création d’une gamme de produits disposant tous d’une base d’éléments communs, standardisés. À côté de cette identité esthétique commune, certains éléments sont personnalisables, afin de répondre aux besoins de tous mais sans dégrader l’image globale.
La première caractéristique des produits ou aménagements universels est d’être déclinable à la plus large variété de personnes. Ils sont fonctionnels, compréhensibles, sûrs et respectueux de tous. Leur ergonomie s’adapte à la physionomie de chacun.
À côté des aspects techniques, qui sont testés en situation avec les utilisateurs, les aspects sociaux et affectifs sont, pour rappel, extrêmement importants. L’image du produit est celle d’un équipement conçu pour tous, sans mettre en avant une catégorie spécifique. En effet, un produit présenté comme pensé pour les personnes handicapées ou pour les personnes âgées a un côté stigmatisant pour ces dernières. Les valides seront eux encore moins enclins à se le procurer, vu leur label « handicapé ».
Le produit universel doit pouvoir être aussi bien utilisé par les personnes disposant de toutes leurs capacités que par les personnes à mobilité réduite.
À titre d’illustration, « à partir d’une conception de table médicalisée (pour l’hôpital ou le domicile) utilisable au lit et accessible en fauteuil roulant mais n’ayant pas l’image d’un produit de soin, on a élargi la demande une table « adaptative universelle » (au lit, accessible en fauteuil roulant, utilisable à domicile ou en hôpital, etc.). L’objectif est d’étendre le besoin à une population plus large comprenant le grand public ainsi que les personnes en situation de handicap ou les personnes âgées »1.
Par ailleurs, en fonction des produits conçus, les utilisateurs potentiels peuvent varier. « Certains produits s’adressent potentiellement à tous (ex : un téléphone portable), alors que d’autres concernent une population plus restreinte. Par exemple, le poste de conduite d’une voiture ne requiert pas d’être adapté aux caractéristiques des enfants ou des personnes aveugles, car ceux-ci ne sont pas autorisés à conduire. Autre exemple, un outil professionnel ne requiert pas d’être adapté aux caractéristiques des enfants ou des personnes âgées car ceux-ci ne sont pas censés se trouver en situation de travail. En revanche, il peut concerner un salarié ayant des restrictions d’aptitudes ou reconnu en qualité de travailleur handicapé »2.
1 Universal Design : proposition d’une nouvelle approche appliquée à la conception d’une table adaptative ; Plos, Buisine, Dupin, Aoussat, Dumas ; Congrès self 2007, p.342
2 La conception universelle, inclusive ; Buisine, Plot, Aoussat, Fiche n°241,
2011, www.techniques-ingenieur.fr – Dossier pratique
<< Fin pavé>>
Les voies de l’universalité ne sont plus impénétrables
Au regard de nos observations, la conception universelle constitue une démarche unique qui, si ses principes sont étroitement suivis, permet d’épouser les objectifs d’accessibilité dans le respect, l’appréciation et la reconnaissance de tout un chacun. Elle favorise le « vivre ensemble » en plaçant l’usager au centre d’un processus collaboratif qui permet d’englober le plus large échantillon d’utilisateurs, y compris les plus fragiles. En outre, l’outil s’applique à un large panel de domaines tels que l’environnement construit, les transports, les produits et services, les technologies de l’information et de la communication…
Certaines expériences constituent d’ores et déjà une source d’inspiration, alors que l’avenir laisse à ce projet de société, grâce à sa souplesse d’invention et d’innovation, une belle marge de progression.
« L’enjeu majeur de la CU est de permettre une réflexion nouvelle sur des pratiques et des services habituellement effectués auprès des personnes handicapées »12.
Concevoir universel c’est offrir l’opportunité d’approcher l’accessibilité sous une nouvelle perspective afin d’éliminer les barrières, de rendre les personnes moins vulnérables à leur environnement et, surtout, de construire un espace plus sûr et agréable à utiliser pour nos enfants. De surcroît, la méthodologie permet aux personnes à mobilité réduite de devenir des experts de l’accessibilité. Elles ne vont plus seulement la vivre mais la créer et la rendre performante ! Il va encore sans dire qu’une forte volonté et une dynamique politique seront bien entendu nécessaires afin de donner à la CU toute l’impulsion qu’elle mérite.
A l’aube du 21e siècle, l’accessibilité aurait-elle trouvé sa voie ? Reste à accomplir le travail !
12 Propos tenus par Marc Maudinet, Responsable de l’Executive master Gestion et politiques du handicap à Sciences po Paris, lors de la conférence « Conception universelle », Paris, 9 décembre 2011
<< Début pavé>>
Résolution du Conseil de l’Europe sur l’introduction des principes de conception universelle dans les programmes de formation de l’ensemble des professions travaillant dans le domaine de l’environnement bâti – ResAP (2001)
Convaincu que l’accessibilité et la conception universelle ont un rôle important à jouer dans la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution. Celle-ci recommande aux gouvernements des Etats membres de prendre des mesures pour introduire la notion de conception universelle dans les programmes de formation de l’ensemble des professions travaillant dans le domaine de l’environnement bâti.
Selon ce texte, tout au long de leurs études supérieures, les architectes, ingénieurs, concepteurs et urbanistes devraient, grâce à des programmes d’enseignement appropriés, développer les aptitudes suivantes :
– perception de la relation entre les êtres humains et leurs oeuvres construites, et entre ces dernières et leur environnement ;
– compréhension de la nécessité de conformer les oeuvres construites et l’espace bâti aux besoins de l’être humain ;
– maîtrise des techniques de résolution des problèmes afin d’accroître la fonctionnalité de toutes les oeuvres construites, et ce en tenant compte de la diversité des êtres humains.
Elle précise également que les questions de conception universelle devraient figurer dans tous les types et à tous les niveaux de l’enseignement des disciplines qui ont une influence sur notre espace physique (maçons, plombiers, électriciens…).
Cette résolution stipule également que les usagers de tous âges, parmi lesquels des personnes handicapées, doivent collaborer le plus tôt possible à la conception des programmes d’enseignement et être considérés comme une source d’informations, d’expériences directes et de compétences professionnelles.
<< Fin pavé>>
Jérôme Schuman & Marie-Ange Vandecandelaere